image/svg+xml filigranne filigranne

Rapport de vendanges 2019
Le 30 octobre 2019
En 2019 le génie propre des Climats bourguignons a effacé l'impact négatif des chaleurs excessives, s'est adapté à ces conditions extrêmes et nous offre des vins racés et d'une fraîcheur remarquable.

Pour le vigneron, chaque millésime, jusqu'à ce que le vin ait été écoulé dans les fûts où il va être élevé, est une énigme, un peu comme l'attente de la naissance d'un enfant qui ne laisse rien deviner de ce qu'il sera. Plus qu'aucun autre, ce nouveau millésime sera venu au monde sans avoir livré à l'avance aucune référence permettant de le comparer à des millésimes antérieurs.
En cette année 2019, le raisin est né et a mûri sous le signe du soleil, de la chaleur et de la sécheresse. Le beau temps, maintenu par un vent du Nord continu, s'est imposé dès le début du printemps après un hiver très peu pluvieux. Les travaux de vigne : taille, ébourgeonnage, accolage, ont pu être réalisés à bon rythme, même si, par exemple, en plein ébourgeonnage, la végétation se mit à se développer avec une fougue excessive à laquelle nous fûmes bien obligés de nous plier.
Les traitements ont pu être réduits à un minimum historique. De même pour les labours qui furent rares et appliqués dans l'esprit du vieil adage: «un bon binage vaut deux arrosages ».
Dès le mois de mai, il faisait chaud et nous étions déjà en manque d'eau, les hommes comme la vigne. Celle-ci pourtant ne paraissait pas souffrir et se développait avec toujours la même exceptionnelle vigueur. La floraison fut précoce, dès le tout début de juin, mais laborieuse, prenant plus de 15 jours pour s'accomplir. Il en résulta une importante coulure et beaucoup de millerandage (petites baies peu développées), ce qui est toujours un signe évident de la lutte de la vigne face à des conditions qui la stressent. Le feuillage restait néanmoins bien vert.
Cette floraison annonçait des vendanges autour du 20 septembre, mais c'était sans compter que le vent du Nord et le beau temps n'allaient laisser aucune place au vent d'Ouest et à l'humidité qui normalement viennent équilibrer les périodes chaudes. Ainsi fut ouverte la porte à des chaleurs, qui, l'après-midi, devenaient inhabituelles. Heureusement, les nuits restaient fraîches, sauf pendant les deux périodes de canicule, l'une fin juin, du 24 au 30 juin, la seconde, d'une semaine également, fin juillet, quand commençait la véraison.

C'est à ce moment-là que la vigne nous a vraiment étonnés par sa capacité à résister. Alors que nous-mêmes humains souffrions nuit et jour dans nos maisons comme dans nos vignes, son feuillage restait vert et elle conduisait sans fléchir le raisin vers une haute maturité que nous n'aurions jamais osé espérer dans ces conditions aussi extrêmes.
L'effet de la chaleur sur la vigne fut double : pendant tout le printemps, jusqu'à la première canicule, fin juin, elle développa sa végétation à un rythme effréné et avec une vigueur qui, comme dit plus haut, nous prit parfois par surprise. Ensuite à partir de fin juin, notamment pendant la 2ème canicule de fin juillet, elle fut souvent près d'être « bloquée » dans son évolution. Des chaleurs trop fortes font se replier la vigne sur elle-même, elle abandonne son raisin au soleil et rejoint un régime de survie qu'elle quitte dès que les conditions de température redeviennent plus normales. Résultat : un certain pourcentage de baies grillées (qui furent éliminées lors du tri à la vendange) et quelques « blocages » dans les processus qui mènent la vigne de la floraison à la véraison.
Ce qui fut remarquable, c'est l'extraordinaire résilience de nos ceps : elle remet à leur place de conjectures sans fondement réel les avertissements de ceux qui prédisent sans cesse que le cycle chaud que nous connaissons ne peut nous apporter que le pire. Ce millésime 2019 nous conforte dans notre sentiment que la vigne est intelligente et possède au plus haut point l'instinct de vie... c'est-à-dire qu'elle a son intelligence propre et que, dès qu'elle est face à des conditions extrêmes, elle cherche à s'adapter, comme elle l'a fait souvent, il ne faut pas l'oublier, dans le passé. A nous de l'aider par notamment le choix du bon matériel végétal et de façons culturales adaptées.
L'addition des températures, c'est-à-dire la quantité de chaleur reçue par la vigne, a été en 2019, d'après les chiffres en notre possession, supérieure à 2003, l'année contemporaine de référence à cet égard, mais en 2003, la vigne avait réellement souffert (sauf très rares exceptions comme la Romanée-Conti qui nous stupéfia par sa résistance) et l'on n'était pas loin, sans y arriver heureusement, d'un phénomène de « surmaturité », c'est-à-dire d'une maturité atteinte plus par concentration des éléments du raisin que par l'effet de la photosynthèse.
Ce ne fut pas non plus le cas, loin de là, cette année, la vigne est restée verte jusqu'au bout, franchissant les périodes de canicule avec beaucoup plus d'aisance que nous humains et elle a su jusqu'en fin de saison mûrir son raisin, le nourrissant et l'amenant à complète maturité dans un parfait équilibre des composants sucrés, acides et phénoliques.
Cette aisance de la vigne à traverser des conditions extraordinairement difficiles fut bien sûr confortée par la culture en biodynamie, par l'âge moyen élevé de vignes qui sont donc profondément enracinées, et par les faibles rendements qui en découlent, la vigne luttant mieux quand elle a peu de raisin à porter.
Néanmoins à la veille des vendanges, mi-septembre, nous n'avions pas la moindre idée de ce que seraient les vins de ce millésime 2019 : retrouverait-on dans le raisin et dans les vins la résilience remarquable qu'avait démontrée la vigne au cours de la saison ?

Les vendanges
La maturité des sucres progresse comme l'éclair en Août : on est déjà à 11° potentiels le 26 Août, à 12°5 huit jours plus tard le 2 septembre et même à 13° dans les plus jeunes vignes. Puis la maturation stagne un peu la semaine suivante pour reprendre de plus belle à partir du 10 septembre et atteindre 13°5/14° et même au-delà en Chardonnay. On aimerait pouvoir attendre afin que la maturité phénolique, celle des peaux, des rafles et des pépins, s'équilibre encore mieux avec la haute teneur en sucres des baies, mais l'élévation de celle- ci s'accélérant, le 14 septembre nous décidons de vendanger les « plantes », c'est-à-dire les jeunes vignes, de La Tâche d'abord, puis de Romanée-St-Vivant, où on est déjà à 14° potentiels... Les raisins sont magnifiques, même s'il y a peu de jus, chaleur et soleil ayant asséché en partie les baies.
Le 15 c'est le tour du Montrachet. Le régime hydrique du secteur de Chassagne- Montrachet a été plus favorable en juin et grâce à quelques pluies rares, mais bienfaisantes, la vigne a pu faire des réserves en eau, ce qui a hâté floraison et maturité. Là aussi on rentre une vendange magnifique, à petits raisins millerandés, donc à rendement plutôt faible en contraste avec celui de 2018 qui fut exceptionnellement abondant.
Dès le 15 après-midi nous nous attaquons au Richebourg et tous les grands crus vont suivre sous une chaleur qui devient de plus en plus forte au fil des jours. La vigne, qui est affaiblie parce qu'elle est en fin de son cycle végétatif, accuse le coup. Heureusement les nuits sont fraîches et cet affaiblissement n'a aucun impact sur le raisin qui est mûr et déjà prêt à naître à sa nouvelle vie hors du cep.
- 15 et 16 septembre : Richebourg (rendement un peu plus de 21hl/ha)
- 16 après-midi, 17 matin et 18 : La Tâche (rendement un peu plus de 23hl/ha) - 17 matin : Romanée-Conti (temps un peu couvert et chaleur plus tempérée
rendement : 22,5 hl/ha)
- 19 : Corton (rendement 15hl/ha) et Grands-Echézeaux l'après-midi
- 20 : Fin des Grands Echézeaux (rendement 28 hl/ha) et Romanée-St-Vivant l'après-midi - 21 : Romanée-St-Vivant (près de 27 hl/ha)
- 22 : Echézeaux et début des Corton-Charlemagne
- 23 : Fin des Echézeaux (rendement 23 hl/ha)
- 24 : la Paulée (repas de fin de vendanges)
- 25 : fin des Corton-Charlemagne (rendement 26 hl/ha)
(Tous ces rendements sont bien entendu approximatifs)
L'équipe de vendangeurs, plus professionnelle que jamais sous la conduite experte de Nicolas Jacob, notre chef de culture, a cueilli à très bon rythme des raisins magnifiques, très mûrs et à maturité homogène, sans la moindre trace de botrytis ou autres maladies. Les baies grillées ont été éliminées. La table de tri qui reçoit le raisin à la cuverie a fait une fois de plus un travail de haute couture, coupant entre autres soigneusement les queues des grappes, afin de diminuer le volume de rafles mises en cuves. On a pu ainsi rendre encore plus respectueuse du raisin de l'année la vinification traditionnelle en « vendange entière » et cuvaison longue qu'a menée de main de maître Alexandre Bernier, aidé de sa petite équipe dévouée et efficace.

2019 marque les premières vendanges et vinification de nos vignes en Corton- Charlemagne. Les parcelles situées sur la partie la plus haute du coteau pouvaient attendre, c'est pourquoi nous avons laissé passer deux jours après la fin de nos vendanges de vins rouges et n'avons terminé que le 25. Là encore on a vendangé des raisins dorés, très mûrs et très sains. Après pressurage, le moût a été écoulé pour sa plus grande partie en fûts neufs de haute qualité et pour une petite partie (l'équivalent de 4 pièces) en un joli foudre de chêne fabriqué pour l'occasion. Les fermentations sont en cours. Nous attendons avec grande curiosité le vin fini.


Les vins
A l'heure où j'écris ces lignes, le 30 Octobre, tous les entonnages de vins rouges sont terminés. Les robes sont rouge profond, mais surtout les bouquets nous stupéfient par leur inattendue fraîcheur. La vigne a répondu à la question que nous posions plus haut : elle a fièrement supporté l'épreuve de la chaleur et de la sécheresse intenses et nous offre au final des raisins parfaitement équilibrés, avec de jolies acidités et des tanins souples. Même s'il est un peu tôt pour avoir un avis définitif, les vins auront une fraicheur et une allure bourguignonne « classique » qui sera le caractère marquant du millésime.
Pour les vins blancs, les fermentations ne sont pas terminées, il est encore trop tôt pour se prononcer.
Un fait est certain, c'est que nous venons de connaître l'un après l'autre deux millésimes exceptionnellement chauds, mais qui ont produit des vins extrêmement différents. Ce qui les départage et les rend si différents, ça n'est donc pas la chaleur, mais leur régime hydrique et le positionnement de la floraison : pour l'un, 2018, la floraison fut très précoce, sans accroc, accomplie en 3 jours, avec des pluies régulières pendant tout le printemps jusqu'en juillet, avant que chaleur et sécheresse ne s'imposent en août et septembre, mais les réserves hydriques étaient suffisantes pour que la vigne ne connaisse pas de vrai stress ; en 2019, la floraison fut beaucoup plus laborieuse à cause de la sécheresse printanière et du manque de réserve hydrique, mais un peu de pluie nous a été accordée, dans la première partie d'Août, peu abondante, mais bienfaisante, qui donna au raisin une fraîcheur qu'il a su conserver jusqu'aux vendanges.
Ne trouvant pas de millésime contemporain à comparer avec ce que nous a réservé 2019, nous avons cherché... et trouvé dans l'opuscule « De la Vendange » de notre ancêtre Jacques-Marie Duvault-Blochet, un court traité publié en 1870 et devenu « culte » pour nombre de vignerons bourguignons qui le lisent chaque année avant leurs vendanges, que le millésime 1865, grande année du XIXème siècle, semble avoir connu des conditions approchantes : fortes chaleurs, vendanges autour du 20 septembre et concentrations en sucre extrêmes...
Aussi intéressant fut-il de constater, dans le même opuscule, que l'année qui précède, 1864, fut très semblable à notre année 2018 : chaleur aussi et très grands vins également.

C'est ainsi que, si l'on va encore plus loin et que l'on observe les dates de vendanges depuis le XIVème siècle jusqu'à aujourd'hui, on découvre plus d'un cycle chaud. Le nôtre n'est pas le premier. Que nous réserve le futur ? ceux qui annoncent le pire auront-ils raison ? nous pensons plutôt à une adaptation progressive à ce cycle chaud. En même temps que la vigne s'habitue peu à peu à ces conditions, des adaptations vigneronnes, comme la sélection de types de Pinot Noir ou de Chardonnay plus tardifs ou certains changements dans le palissage des vignes par exemple, sont déjà en cours ou à l'épreuve et vont de plus en plus être mis en œuvre à mesure que se confirme leur efficacité.


La vigne après vendanges
30 Octobre. Demain, c'est l'Automne. Il a plu légèrement hier. Aujourd'hui le soleil est revenu. La vigne, soulagée de ses grappes, a pris une allure légère, une sorte de transparence, depuis la chute des premières feuilles... Elle est, sous le soleil, d'une beauté renversante qui dépasse tous les souvenirs que nous pouvons garder de millésimes antérieurs. Cette année le feuillage n'a pas été du tout touché par le mildiou, ce qui est rare, il change de couleur doucement, lentement et chaque matin on dirait vraiment qu'un peintre est passé pendant la nuit pour raviver les sublimes aplats de rouges, d'oranges ou de jaunes qui font de la Côte viticole une mosaïque chaque jour changeante... On se dit parfois que la vigne, après avoir fait naître son enfant, le raisin, qui va donner un grand vin admiré, veut, par cette beauté qui est fugace, mais éclatante, nous rappeler à nous, vignerons, que c'est parce qu'elle est belle que le vin sera beau, que sans elle le grand vin ne serait pas et qu'il faut donc la choyer pour qu'elle s'endorme tranquille et se réveille heureuse au printemps prochain, prête pour les nouvelles aventures que le ciel de l'année - et le vigneron - vont lui réserver ...

creation vinium Cookies